C’est l’air que j’ai dans la tête depuis que nous venons de décoller du sommet de Grand Som ! Je le chante maintenant à tue-tête dans l’étonnant thermique que nous enroulons et qui provient du tréfonds de la terre.
Ça vit d'air pur et d'eau fraîche, un oiseau
D'un peu de chasse et de pêche, un oiseau
Mais jamais rien ne l'empêche, l'oiseau
D'aller plus hauuuuuuut
Mais revenons un peu en arrière. Ce matin nous partons Hélène et moi avec pour projet de faire le Grand Som en deux équipes : je monte jusqu’au sommet pendant que ma douce perfectionne sa remise en condition en m’accompagnant jusqu’à mi-chemin, jusqu’au col des Aures. Pourtant en fourrant la voile dans le coffre sous le soleil naissant, nous avons soudainement la même idée…. Plutôt que de redescendre à pied, ne serait-il pas plus judicieux de m’accompagner jusqu’en haut et de redescendre en parapente pour économiser le genou encore fragile ?
Banco, je remonte à la maison chercher son parapente et le gros sac qui me permet de porter les deux voiles sans se bousiller le dos, et en avant pour le sommet ! Après avoir posé la voiture au col du Cucheron, nous commençons la longue marche qui mène au sommet par le vertigineux passage du Racapé, rapidement nous trouvons la bonne cadence qui permet de ne pas réveiller les éventuelles douleurs de ce regrettable accident du mois de mars. Le petit sentier est tout à fait charmant, d’abord dans la forêt avant d’émerger au col des Aures et de poursuivre à travers les grandes falaises de calcaire qui soutiennent le sommet. Les passages d’escalade faciles réclament toutefois des enjambées qui seront à la limite de la flexibilité du genou encore convalescent. Pendant que nous en terminons avec la grimpette, décollent déjà du sommet plusieurs voiles montagne, un parapente plus performant que les autres passe même par dessus la croix. L’excitation est totale !
Nous arrivons bientôt à la croix hautement symbolique au dessus du magnifique monastère de la Grande Chartreuse qui émerge à l’instant du brouillard matinal, mille mètres plus bas. J’aime plus que tout ce sommet riche d’une valeur spirituelle extraordinaire depuis que j’y ai trouvé jadis un moine, allongé face contre terre, les bras en croix devant La Croix monumentale, en plein délire mystique !
Nous avons choisi un autre moyen de communier avec la nature aujourd’hui, en quittant la terre sous nos ailes de chiffon, dans une brise juste parfaite. Pour autant, l’orientation du flux demande une maîtrise certaine de l’aéronef puisque la brise ne vient pas du nord mais du sud. Pour un vol de reprise, il va falloir soigner la course d’envol. Hélène se prépare, bien concentrée sur les différentes phases du décollage. Manifestement, c’est comme le vélo, cela ne s’oublie pas puisqu’elle décolle à la perfection et rentre dans la troisième dimension tout en faisant couiner le variomètre dans le thermique juste devant le décollage. Il est temps pour moi de la retrouver, je saute dans ma sellette ultra légère avant d’être happé à mon tour par l’ascendance salvatrice. Incroyables ces conditions de vol pour un 11 novembre ! Commence alors une sarabande autour du sommet tout en saluant les randonneurs à cheval sur l’arête sud qui montent vaillamment vers la croix rendue à la solitude depuis notre départ.
La journée est fameuse, des myriades de petits parapentes, venus de différents horizons, arrivent vers notre sommet en empruntant les ascendances que génère un soleil éblouissant dans l’air limpide de novembre. Je fredonne ce tube de Fugain qui sonne parfaitement dans l’air fluide et porteur. Pourtant j’aurais dû me contenter du refrain car le souvenir du premier couplet freine irrémédiablement les ardeurs aériennes….
Mais je suis seul dans l'univers
J'ai peur du ciel et de l'hiver
J'ai peur des fous et de la guerre
J'ai peur du temps qui passe, dis
Comment peut-on vivre aujourd'hui
Dans la fureur et dans le bruit
Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdu
Alors nous délaissons le thermique pour nous diriger maintenant vers l’atterrissage de Saint Hugues, juste à côté de l’église magnifiquement décorée par Arcabas. La descente est longue et paisible jusqu’au milieu de l’immense prairie que broutent quelques ânes aux longues oreilles. Nous nous retrouvons tous les deux, fous de joie, après cette immersion totale dans le ciel des moines de la Grande Charteuse. Après un atterrissage tout en douceur afin de préserver nos vieilles articulations, nous plions nos voiles avant que je ne lève le pouce pour retourner chercher la voiture laissée ce matin au col. C’est Jean-Luc, le skiman de Saint Pierre qui s’arrête, il me remonte directement là-haut sans que j’attende plus d’une minute sur le bord de la route déserte à cette heure avancée de la matinée.
On y aime la Chartreuse.