Ce matin les météos se sont montrées trop optimistes, du franc soleil qu'il devait faire dès l'aube, il ne reste rien. Un plafond glauque et froid a envahi le ciel et semble s'accrocher aux arbres sur les flancs des montagnes. Il en faut plus pour nous décourager, surtout après deux jours passés à repeindre une chambre. C'est pénible ces baraques, quand t'as fini d'un côté, l'autre est déjà vétuste et demande un rafraîchissement, c'est un éternel recommencement !
Alors ce matin nous mettons les pinceaux dans la flotte, rangeons les racloirs et sortons les parapentes. La flemme de faire des kilomètres nous pousse au col du Baure malgré la menace d'un plafond qui semble bien proche du sommet, il ne faudrait pas qu'il descende et nous enferme dans le brouillard. C'est pourtant exactement ce qu'il va se produire. Nous arrivons au décollage en même temps que les nuages bouchent soudainement le paysage qui s'offrait à nous seulement dix minutes plus tôt.
Commence alors une attente qui va mettre notre patience à rude épreuve, 2h40 qu'elle va durer l'attente ! Nous sommes seuls pendant la première heure avant que n'arrive d'en bas un charmant petit couple de jeunes. Etant donné que la visibilité ne dépasse pas 40 m dans cette purée de pois, nous ne les apercevons qu'au dernier moment. Comme il sont jeunes et fougueux, ils étalent aussitôt le biplace, prétendant que le simple fait de sortir la voile suffit à faire dégager les nuages. Une heure plus tard, ils sont toujours dans les starting-blocks alors que la visibilité est tombée à 30 m. Nous avons cru un moment qu'ils allaient s'élancer sans rien y voir sur ce décollage qui réclame quand même un minimum de clarté.
Là dessus déboulent quatre jeunots exaltés qui veulent en découdre, ils ne sont manifestement pas là pour acheter du terrain. Devant la sinistre brume qui nous entoure, ils trépignent d'impatience. Au bout de 20 minutes, ils décident de redescendre en courant mais je leur fais remarquer qu'il me semble entrevoir les prémices fugaces d'une timide amélioration, ce qui les plonge dans la plus grande perplexité. Le groupe se scinde alors en deux parties, le plus téméraire déplie sa voile de compétition pendant que les trois autres entament la descente. Hélène et moi restons dubitatifs, même si on voit maintenant à 50 m, il n'y a pas de quoi s'exciter.
C'est à ce moment que les évènements se sont précipités, créant, il faut le reconnaître, une certaine agitation. En effet il semblerait que se découpe dans les nuages ce qui ressemble à des petits carrés de patchwork qui pourraient correspondre avec de l'imagination à des champs. Mais oui, c'est le fond de la vallée qui transparaît, diaphane dans le coton gris. Le biplace, n'en pouvant plus d'impatience après 1h30 d'attente décolle et disparaît dans la grisaille d'où n'émerge que la cime des arbres à la lisière du terrain. Quand le second lui a emboîté le pas, en baskets et en short et qu'il a gueulé c'est bon, nous avons commencé à déplier nos parapentes, pendant que les trois autres remontaient le pré en courant dans la neige profonde. Jamais nous n'avons été prêts aussi vite, Hélène termine sa vérification pré-vol pendant que les nuées se referment derrière les deux intrépides parapentistes. Galvanisée, elle s'élance malgré une détérioration manifeste de la visibilité, 2h40 après être arrivés sur le terrain !
Je termine ma préparation et m'élance à sa poursuite en choisissant le cap qui me semble le plus judicieux pour éviter de percuter un arbre invisible. Mais le suspens est de courte durée puisque rapidement nous passons sous la couche de nuages. Que c'est bon de distinguer clairement l'espace qui nous entoure. En plus et contre toute attente, le vario se met à biper, le pire c'est qu'il m'indique manifestement une ascendance à l'endroit où une colonne de nuages monte de la vallée. J'enroule tout de suite le bousin malgré l'incongruité de la situation. Un beau vol que les jeunes mettront à profit en partant tout de suite en direction de Grenoble au radada sous le plafond sombre, humide et glacial. Décidément les conditions cette année sont étonnantes.
Nous posons enfin nos voiles dans notre terrain d'atterrissage secret, joyeux de ne pas avoir eu à redescendre à pied les 900 m de dénivelé qui nous séparent du col du Baure et contents une nouvelle fois d'avoir pu voler comme des oiseaux. Comment se lasser de cette merveilleuse sensation de liberté absolue ?