En partant ce matin vers le col de Baure, une certaine lassitude m'envahit doucement à l'approche du parking, il faut dire que c'est la cinquante deuxième fois que nous allons emprunter le chemin et même s'il existe de nombreuses variantes au début, les 13 lacets finaux forment un point de passage obligé.
Et pourtant, dès les premiers mètres de la marche, le charme opère. La solitude d'abord, en passant par des chemins détournés on ne verra personne, d'ailleurs il est probable que l'éternité, elle-même, sera tout aussi dépeuplée, alors autant apprécier cette étrange sensation tout de suite. Le paysage ensuite, il se déroule, varié au gré des sentiers rocailleux, tantôt ouvert sur l'infini tantôt fermé sur les sous-bois de frênes. Quant à l'arrivée au col, elle est toujours triomphante puisqu'on passe de l'ombre à la lumière sans transition, un éblouissement sidérant avec un point de vue sur le verdoyant Plateau des Petites Roches, encadré à gauche par les ocres claires de la Dent de Crolles, et à droite au loin par les scintillants sommets de Belledonne. Impossible de se lasser d'un tel paysage qui confine à l'émerveillement.
Pour ajouter à cette joie de vivre l'espace, les conditions de vol s'annoncent fumeuses, il n'est pourtant que dix heures du matin ! Alors sereins, nous terminons la marche en suivant la crête qui mène à Château Nardent. Sur la prairie de décollage règne une atmosphère apaisée, la flamme en place est à peine bousculée par une brise thermique alors, sans plus attendre, nous nous préparons au vol. Au loin dans la vallée s'agite la foule dans une course au progrès insensée, quitte à en oublier de vivre, alors qu'au-dessus les montagnes immobiles sont souveraines apportant la touche d'éternité qui manque à l'humanité laborieuse. Pourtant elles aussi disparaîtront mais plus tard, à une échelle géologique qui n'est pas la nôtre.
Une fois dans nos sellettes, le vent est soudain capricieux, signe évident d'une activité thermique grandissante... Hélène en fera d'ailleurs les frais, au premier gonflage la voile refuse de monter et reste en arrière, boudeuse et molle sous l'effet d'une brise pernicieuse. La deuxième tentative sera la bonne à la faveur d'un courant d'air porteur d'espoir. Quant à moi, sitôt dans son sillage j'entame un essor qui s'avérera quasi divin puisqu'à peine la voile au-dessus de moi, un thermique étonnant me tire résolument vers le firmament, une ascendance vaste, saine et franche ! La suite sera moins glorieuse puisque je suis sorti du thermique imprévu par le haut, à la limite des nuages et que je n'ai jamais trouvé l'entrée du second en fouinant pourtant consciencieusement le long de la falaise. La fin du vol sera moins zen avec un vent de vallée assez fort et turbulent. Si Hélène s'est posée à peu près à l'endroit prévu à côté de la flamme plantée le matin, j'ai en revanche lamentablement raté ma précision d'atterrissage en touchant le sol à une centaine de mètres de la cible.
Il reste toutefois de cette sortie comme un goût de paradis, le souvenir d'un monde merveilleux représenté par une nature exubérante, surprenante et toujours fascinante.