Après une délicieuse soirée passée entre amis autour d’une table remplie de douceurs, où le temps s’est arrêté plus longtemps que prévu, ce matin, la vive lumière d’un ciel beaucoup plus clément que les oracles ne l’avaient prévu, me tire du lit plus tôt que je ne l’espérais. La voile est jetée dans le coffre et direction Saint Hilaire pour une balade neigeuse. C’est en traversant les mornes campagnes que l’autoradio distille tout à coup la musique céleste de Schubert 'Le chant des esprits au dessus des eaux'. Les bancs de brouillard qui s’accrochent aux branches dénuées au dessus des champs inondés s’accordent à la perfection avec les notes du plus grand compositeur allemand!
Dès lors, la journée ne peut-être qu'une réussite ! Pourtant les embûches furent nombreuses, la neige d’abord, insignifiante au début, les quantités avec l'altitude finissent par être importantes. Et pour mon malheur, personne n’est passé avant moi.... La dépense d’énergie pour faire la trace devient conséquente, en plus, impossible de prendre un rythme, les grosses pompes glissent sur les cailloux planqués sous 50cm de neige. J’en chie des rondelles si je peux me permettre l’expression triviale. Bref, après deux bonnes heures à suer sang et eau, j’arrive enfin au terrain de décollage, le vent y est mauvais et le manteau neigeux empêche toute course vers l’abîme où traînent d’ailleurs des nappes de nuages que le vent du nord pousse et déforme en volutes turbulentes.
Quelques énergumènes ont déjà étalé des voiles malgré les signes défavorables et s’activent à damer une piste d’envol à travers tout le terrain. Après mûre réflexion, j’installe ma voile au bord du gouffre en sachant pertinemment que la course d’envol ne suit jamais la trace préparée à l’avance. Une fois prêt pour l'envol, il ne me reste plus qu’à attendre la bonne bouffe de face qui me permettra de décoller sur place. Il en faut de la patience ! Le créneau se présente au bout d’un petit quart d’heure, le parapentiste impatient qui vient d’arriver derrière moi m’invite par des borborygmes incompréhensibles à tenter le décollage sitôt la manche à air tournée dans le bon sens... N’écoutant que mes propres sensations, j’entame un gonflage qui s’avère par bonheur parfaitement réussi, et hop me voilà en l’air.
La suite est étrange, le vent du nord est fort et les nuages versatiles. Plus bas, un phénomène bizarre se produit, les basses couches dérivent du sud et le vent du nord passe par dessus, la couche de cisaillement est turbulente mais elle me maintient longtemps à la même altitude, juste à la limite d’un important plafond nuageux. Tenir en l’air par ces températures négatives est un pur bonheur. Sont-ce les esprits au dessus des eaux qui me tiennent ainsi en suspension ? Un autre parapentiste qui a péniblement décollé vient se joindre à moi, cependant une violente fermeture de sa voile calme mes ardeurs belliqueuses. Aussi je quitte la zone ascendante pour finalement atterrir dans un champ inondé presque en marche arrière.... Le hors terrain est manifeste mais peu importe, la difficulté consiste à poser la voile délicatement sur le seul endroit où l’herbe dépasse encore.
On y aime le Schubert ! Quand je pense à la richesse du catalogue de ses compositions alors qu’il est mort à 31 ans.... j’ai pas été aussi productif (tout juste reproductif) !