Arvo Part
La brume semble légère dans la fraicheur matinale, de vagues sommets se découpent dans les trouées, impossible de les reconnaître tant la fragmentation est grande. Ubac est encore dans la nuit, l'herbe blanchie est pétrifiée, rien ne bouge. Le sentier est encore fermé pour cause d'exploitation forestière, comme c'est dimanche - jour du seigneur - et qu'il est encore tôt, je m'y risque, quand on voit la taille des parpaings éclatés sur le sentier et les cicatrices béantes suite au passage des grumes venant de beaucoup plus haut, il est vraiment préférable de ne s'y engager que dans le silence le plus total et d'écouter attentivement les indices d'une quelconque activité.
Le passage par dessus d'énormes grumes est rendu délicat par la raideur du coteau, elles se positionnent pratiquement verticales et ça passe pas par dessous... Finalement les belles gorges étroites et profondes sont traversées. Il ne reste plus qu'à remonter le long vallon secondaire. Le ciel est bleu foncé et les montagnes derrière moi sont déjà baignées de soleil, puissants contrastes! La solitude à la cabane est palpable, personne nulle part, la sauvagerie du sentier rend la balade somptueuse. Le silence est lourd, comme si le froid absorbait les sons, même le souffle des torrents. C'est seulement à 10h30 que je rejoins le soleil, instantanément l'ambiance change du tout au tout, la végétation brune est brusquement illuminée d'un soleil aux couleurs chaudes.
L'arrivée sur la prairie suspendue est magique, les traces d'une ancestrale activité pastorale et probablement intense sont encore bien visibles, des murets de pierres ornent le plateau de figures géométriques étranges, les plans de myrtilles ont grillé sous l'action du gel, et toujours cette lumière irréelle. Les derniers mètres avant le sommet me coutent, j'aurais dû prendre un petit dej plus consistant. Là-haut, la brise est faible mais particulièrement mal orientée pour le décollage. Alors il me faut redescendre un peu vers le plateau mystérieux et installer la voile en bordure. Le soleil maintenant plus vivace finit par réchauffer les vastes pentes de foin desséché, la brise est bonne.
La voile est délicatement posée sur les innombrables plans de myrtilles, le vent est un peu capricieux, souvent nul, parfois rafaleux, de tout manière là où je me suis installé il est hors de question de tenter l'envol si la prise en charge n'est pas parfaite. Sans trop y croire je tente un gonflage au moment d'une bouffée. La voile monte facilement et se bloque au dessus de moi, dans une franche et sécurisante tension. Un pas en avant et je quitte le sol aux allures estoniennes. Tout à l'heure j'observais le décor, maintenant je suis dedans, c'est toute la magie de ce fabuleux bout de chiffon. Le vide devient vite impressionnant – faut dire qu'il y a de la pente après la tête de Quairelière.
Dans la vallée, Ubac est encore à moitié dans la pénombre, le vaste champ est encore calme d'une brise à peine montante, encadré de flamboyants feuillages. Punaise ces sorties d'automne sont incontestablement les plus belles! Au sol, au milieu des prés, impossible de partir, il me faut écouter du Arvo Part pour voir si c'est ça, Oui l'ambiance est la bonne, ce coté quasi mystique s'accorde parfaitement avec l'austérité du décor... Encore