Voilà plus de trois semaines que nous sommes dans les Pyrénées sans avoir le moindre créneau météorologique pour le Pic du Gar, alors quand Charles nous a confirmé l'alignement des planètes hier soir pour une fenêtre de tir, le choix de la balade a vite été enteriné.
Nous voilà donc partis tous les cinq pour ce sommet que nous adorons par-dessus tout, à vrai dire un sixième laron s'est joint à nous ce matin, c'est un beau jeune homme que nous avons croisé hier à l'atterrissage de Oô tout à fait par hasard, il est seul, en vacances dans le coin et partant pour un vol rando. C'est donc six parapentistes qui partent ce matin, du nouveau parking entre Bezins et Garraux, sur ce sentier millénaire que nous connaissons si bien. Mais comment se lasser de cette magnifique balade entre les immenses falaises avant de basculer en versant ouest à travers une somptueuse forêt de hêtres.
Pourtant l'épaisse couverture nuageuse ceinturant le sommet n'est pas de nature à nous rassurer quant à la possibilité d'un retour par les airs. Des cumulus sombres et solidement soudés les uns aux autres... La pause au col de Teyech se passe dans un brouillard déprimant pendant qu'au loin hurle un patou dont les intentions ne sont manifestement pas pacifiques. Nous repartons donc peu rassurés en direction des aboiements féroces dont le message est clair, on ne passe pas !
Par bonheur le troupeau de moutons traîne sur une pâle au-dessus du sentier, le fidèle cerbère se contente de japper et grogner depuis un promontoire vingt mètres au-dessus de nous. Le groupe n'en mène pas large, surtout le dernier puisque le gros chien blanc, tous crocs dehors, nous suit un moment en restant heureusement à distance respectable de nos mollets. Entre les brumes poisseuses et le vilain toutou l'ambiance est plutôt glauque quand soudain la lumière devient plus vive, les contours du sommet apparaissent d'abord fantomatiques puis éclatants de couleurs, nous passons par-dessus la mer de nuages. Impression magique de se retrouver sur un rivage d'écume à la densité épaisse et presque palpable, l'effet est véritablement saisissant.
Nous terminons donc l'ascension épatés par ce coup de théâtre mais sans plus nous faire d'illusion sur notre retour aérien. Pourtant Charles reste formel, la mer s'ouvrira entre 11 heures et midi, aussi gardons-nous le secret espoir d'un retournement de situation encore une fois spectaculaire. Rendus à la croix, nous pouvons admirer l'immensité plate des nuages que nous observons par le dessus. Persuadés de notre échec volant, nous devisons tranquillement sur l'appellation du sommet sans savoir si nous sommes sur le Pic du Gar ou sur le Pic Saillant quand soudain de belles troués se découpent au milieu des cumulus serrés comme des moutons dans l'enclos. Incroyable ! Les prévisions de Charles s'avèrent parfaitement exactes, il est 11h10 et la mer blanche se retire à une vitesse hallucinante !
Fous de joie, nous descendons tous les six retrouver nos frêles avions de papier laissés entre les deux sommets innommables pour les sortir de leur sac et les déplier sans plus tarder. Le vent tourne pendant notre préparation provoquant un rapide changement dans le positionnement des voiles dans la pente d'envol, ce ne sera pas la face sud mais l'agréable prairie au nord qui accueillera les six petits papillons dans le ciel immaculé. La suite n'est que pur délice, un à un nous nous envolons dans un air limpide et calme, nous planons entre les flammes de pierre immenses que le soleil a rendu incandescentes de luminosité. Aucun thermique à cette altitude car nous sommes au-dessus d'une couche d'inversion des températures, celle due au changement d'état des nuages et de leur prompte disparition. En revanche plus bas et vers le relais nous trouvons de belles ascendances qu'entretient un soleil régnant sans partage sur la vallée. Je m'attelle comme je peux à remonter à l'altitude de l'Arak que Virginie mène d'une main ferme et précise mais devant mon absence de résultat, je me raisonne en constatant combien cette voile en forme de lame de couteau est autrement mieux affûtée que nos voiles montagne en forme de couteau suisse, on se rassure comme on peut !
La fin du vol est exquise quoiqu'un peu remuante tout en bas en raison d'un très fort vent de vallée le long de la Garonne. Encore une fois, une belle biche s'intercale entre JP et Hélène sur le terrain d'atterrissage, nous verrons longtemps le gracieux animal bondir jusqu'à la rivière à travers les immenses champs de Marignac. Nous nous retrouvons tous les six, hilares et joyeux de ce vol inespéré, et déclarons unanimement Charles notre champion du routage météo. Décidément le vol du Pic du Gar (ou du Saillant) est toujours un moment absolument unique entre ciel et terre.