Véritable objectif de randonnée, ce haut sommet de Chartreuse offre en prime une multitude de sentiers permettant de varier les balades pour accéder à la croix sommitale. Aujourd'hui ce sera par le versant de Saint Philibert que j'accéderai au Saint Graal juste au dessus du monastère cartusien. Sur le sentier l'exubérance florale est totale pour mon plus grand plaisir. Si le vent est effectivement négligeable, il n'en est pas de même des nuages qui grossissent d'heure en heure. Tous les sommets sont occultés par de grosses masses cotonneuses néanmoins très esthétiques. Si c'est charmant à voir de loin, quand on est dedans c'est beaucoup moins agréable. 300 mètres sous la croix j'entre dans un univers glauque humide et glacial. Ce brouillard oppressant m'accompagnera jusqu'au sommet. Une petite éclaircie me permet de toucher la croix au soleil mais pas plus. La visibilité se limite à une étroite portion de paysage en direction de Lyon.
La descente en parapente est sérieusement compromise, mais il est encore tôt, le caractère joufflu des cumulus laisse entrevoir des possibilités de courtes améliorations, il ne faut pas désespérer. Alors je me rends tranquillement au décollage, le vent y est parfait mais la visibilité complètement nulle. Commence alors une attente qui mettra mes nerfs à rude épreuve quand soudain un bout de vallée apparaît furtivement. J'étale donc la voile sur l'herbe détrempée des pluies de la veille afin de passer le temps. J'en profite pour aller chercher ma gourde que j'ai oubliée au sommet. Au retour de mon expédition la voile n'a pas bougé, pas plus que le brouillard d'ailleurs.
En attendant je prépare le téléphone pour une éventuelle assistance au vol sans visibilité. Finalement une deuxième fugace éclaircie se pointe par le bas. Entre la pente et le ciel uniformément gris se dessine un rai de lumière horizontal sur le vallée.. si mes calculs sont bons, vu le froid et l'absence de thermique malgré l'heure avancée, je devrais rapidement voler sous les nuages. Je saute dans la sellette, allume le gps du portable et presse la détente. L'envol est immédiat mais mes calculs s'avèrent erronés, ça monte vite, trop vite, rapidement j'entre dans le nuage épais et je n'y vois plus rien. Dans ces moments il est urgent de ne rien faire et d'attendre que cela se passe, mais, si j'en crois mon GPS, ma trajectoire est circulaire vers la droite !!! Ça craint. Première chose à faire, prendre un cap qui m'éloigne de tout relief. Un crash contre la falaise n'est jamais recommandé ! J'entame donc un virage à gauche et m'assure de la qualité de la manœuvre sur l'écran du portable, seul repère palpable dans ce monde irréel de brumes opaques. Comme par magie, la petite trace rouge sur l'écran s'incurve à droite, une fois le bon cap retrouvé, je relève la main gauche pour aller tout droit. Pendant ce temps là le vario couine de plus en plus... Au moins l'altitude va me protéger du relief invisible !
Alors que je me polarise sur mon téléphone pour ne pas angoisser plus que de raison, soudain ma prison de brumes aveuglantes se déchire ! Mon univers réduit à quelques mètres s'ouvre d'un coup sur l'infini, punaise que je suis haut ! Rasséréné par ce retour dans le monde réel, je cingle maintenant vers Saint Hugues. Un petit crochet en marge des cumulus me permet de prolonger ce vol devenu délicieux dans ce panorama splendide. Je zone à la limite du cumulus, scotché sous le plafond gris. Minutes intenses et jouissives.
Rassasié d'air pur, je file maintenant vers l'atterrissage. C'est 500 mètres à la verticale de l'église d'Arcabas que les premières turbulences ont commencé à se faire sentir. Quoi encore ? En observant les arbres autour de la Sainte chapelle je comprends la raison de ce remue-ménage, un fort vent de vallée secoue les branches et agite la biroute en tout sens. Allons bon, manquait plus que ça. En restant attentif aux balancements parasites qui me chahutent, j'évite de pernicieuses fermetures de la voile et finalement je me pose face au vent sans avancer tellement la brise me contre. Un petit âne tout mignon vient alors à ma rencontre, curieux de voir ce gros papillon coloré se poser dans sa prairie.
Voilà un vol magnifique que je ne suis pas prės d'oublier. Une fois la voile pliée je me place au bord de la route pour faire du stop afin de remonter au col du Cucheron où est garée ma caisse. Ce n'est pas encore les vacances et il n'y a pas un chat qui passe, je ne suis pas rendu. Après 20 minutes d'attente, trois voitures se présentent. Si les deux premières ne ralentissent pas à mon niveau, la troisième stoppe juste devant moi. Une charmante dame actionne la vitre électrique et m'apostrophe. Salut mon Jacques qu'elle me dit, grimpe vite dans ma voiture !
Ma gémellité n'a jamais été aussi efficace, après avoir dissipé le malentendu, je lui demande à qui ai-je l'honneur de parler. C'est Monique, l'ancienne institutrice de Saint Hugues qui a eu les enfants de mon frère comme élèves. La gentillesse de cette dame n'est pas une légende. En effet en plus d'être urbaine et charmante, elle fera l'effort de me reconduire jusqu'au col alors qu'elle s'arrête à Saint Pierre ! Elle me précise qu'il n'est pas question de laisser le frère de Jacques sur le bord de la route !
Au retour c'est la petite messe solennelle de Rossini qui m'accompagnera jusqu'à la maison, des notes qui me permettent de rester la tête dans les nuages comme ce matin au sommet du Grand Som