Quand bien même cette balade n'offre aucune difficulté, pénétrer dans la zone de silence des moines de la congrégation cartusienne est une expérience quasiment mystique. Il faut progresser à travers la magnifique forêt de Chartreuse, celle d'où provenaient tous les arbres qui servirent à la renommée de la marine française. Les conifères y sont tellement immenses que les mâts issus de ces troncs touchaient presque le soleil et résistaient aux pires tempêtes.
Aujourd'hui il n'en est rien, ni vent ni mauvais temps pour mettre à l'épreuve la forêt, simplement de la fraîcheur et du silence. Notre horaire un peu matinal concourt à cette impression de solitude. Nous entrons au cœur de la Chartreuse comme on entre dans les ordres ! La neige encore froide des chutes de la semaine dernière facilite la progression. Seul le passage en traversée au dessous des deux couloirs d'avalanche est encombré de boules de glaces, délicat à négocier sans couteaux. C'est que nous venons en paix, il saurait être question d'armes blanches.
Et puis plus haut c'est la pâmoison quand nous passons sous l'influence de l'astre incandescent. La suite est une longue marche qui n'a rien d'un chemin de croix, bien au contraire, les quatorze virages, comme le Via Crusis, permettent de jouir du paysage qui s'ouvre lentement au dessus de tout. Bientôt la croix solidement fixée au sommet se détache de la neige, sur un fond de velours bleu profond. Le monde tourne et la croix demeure ! *
Nous y sommes !
Le monastère est encore à l'abri sous l'ombre tutélaire du Grand Som, plus loin, au nord comme au sud, les villes industrieuses sont noyées dans une brume visqueuse et moite. Et tout autour des sommets qui donnent le vertige, ce panorama à 360° n'en finit pas de nous éblouir. Nous voilà comme des derviches tourneurs à détailler l'horizon qui défile. Du Pilat au Mont Blanc, tout est admirable ! Toutefois ces nourritures spirituelles ne remplissent pas l'estomac. Alors nous sortons du sac quelques nourritures terrestres dont l'air pur exalte les saveurs. On se régale !
Mais il est temps de descendre. Nous avions peur d'une descente infâme et pénible comme les sept plaies de l’apocalypse, mais il n'en est rien. La partie supérieure est même ludique, contrairement à la forêt qui recèle plus d'un piège à vous tordre une articulation. Serait-ce notre silice ? Non, heureusement bientôt les traces convergent pour former une piste grossièrement damée où il n'est pas désagréable de tracer quelques courbes obligées, dans ce que les jeunes dénomment un boarder cross, ils adorent les anglicismes !
Mieux qu'à confesse, une balade au Petit Som vous absoud de tous les péchés !