C'est marrant depuis quelques temps, il devient dur de se lever le matin, Pendant deux ou trois minutes au saut du lit, j'ai un doute affreux.... vais-je arriver à me dérouiller ? Et puis non, le temps a beau être humide et maussade, la machine se met doucement en place et il redevient possible d'échafauder des plans pour la journée. En l’occurrence et compte tenu du vent de nord annoncé ce sera un Col de Baure. Seulement moi, faire et refaire toujours la même balade ça me gonfle, alors avec un peu d'astuces on arrive toujours à trouver des solutions. À l'instar des autres cols, le Baure a deux accès, alors comme la semaine dernière le coté sud fut l'objet de mes errances, pourquoi pas cette fois ci passer par le nord et notamment le chemin du facteur, premier passage historique pour accéder au plateau. Je laisse la caisse pas loin du château de Craponnoz, et en avant la musique.
Malgré l'interdiction formelle du maire apposée au début du sentier, j'enjambe la frêle barrière et commence la grimpette. Il ne me paraît pas absolument inconscient de m'engager sur ce chemin réputé dangereux... Après tout le passage des grands couloirs au dessus de Tête Rousse n'est pas interdit alors que les risques y sont autrement plus élevés – mon dernier passage s'y est d'ailleurs révélé périlleux et il a fallu courir vite pour éviter la mitrailleuse lourde - Non ici tout est calme, seule la cascade gronde doucement dans le fond du vallon. Finalement le sentier n'a pas trop morflé et les marques évidentes de chutes de pierres ne sont pas si nombreuses. En tout cas le parcours est magnifique et il eut été dommage de ne pas l'emprunter au moins une fois. La vue sur la cascade est belle, le sentier serpente entre les falaises.
Plus haut effectivement un gros éboulement vient mourir sur le sentier, les parpaings sont énormes et la forêt est par endroit hachée menu. Mais plus rien ne bouge. Prudemment je ne reste pas dans l'alignement de l'avalanche et poursuis sur un sentier vraiment splendide. Il n'y a plus trop de vue maintenant que tout est dans une brume opaque. En passant par l'huis - ancien nom du passage de Luiset - on accède au plateau. Déjà le col de Baure est indiqué, il faut longer par dessus la falaise sur un large sentier et traverser les ruisseaux qui dévalent de la Dent de Crolles. Une autre mer de nuage emprisonne les sommets, y compris mon décollage. Au moment de traverser la grande route, il s'agit de prendre une décision: descendre en stop ou poursuivre jusqu'au sommet dont la perspective du vol reste vraiment hypothétique ? Une voiture passe sans que je me décide à lever le pouce. Les dés sont jetés, il faudra monter là-haut. Les différents panneaux pédagogiques permettent d’appréhender à sa juste valeur tout la richesse passée de ces lieux aujourd’hui désertiques. Ici un bloc erratique, là les traces d'un ancien moulin, tout cela est bien passionnant.
Bon an mal an le sommet de château Nardent est atteint, toujours dans un brouillard à couper au couteau. Je ne me donne pas longtemps avant de redescendre a pied. Un rapide coup de fil à Luc pour me relater la forme des nuages vue du bas ne me laisse pas trop espérer une amélioration. Pourtant tout à coup, j’aperçois Belledonne au loin, alors malgré les nuées encore nombreuses, j 'étale la voile sur la neige toute fraiche et prends la position du parapentiste attentif à l’évolution du ciel. Une fugace éclaircie, puis tout se recouvre, pourtant il ne me semble plus délirant d’espérer encore une amélioration. Le ciel s'est soudain éclairé, le bord du plateau est apparu d'un coup et bientôt les petites maisons de la vallée se sont allumées une à une. Vite dans la sellette !
Un vol bien tranquille sans le moindre thermique. Il est 11h45 la vallée est maintenant sous mes pieds, il bruine par moments... mais je retrouve vu d'en haut les passages de ce matin, Il ne reste plus qu'a atterrir, plier mes gaules et rentrer. Finalement mes craintes matinales s'avèrent infondées, il me reste encore de belles sorties devant moi même si cela risque d'être un peu plus difficile... et puis il y aura toujours Richard Strauss pour me remonter le moral :
O paix immense et sereine
Si profonde à l'heure du soleil couchant !
Comme nous sommes las d'errer !
Serait-ce déjà la mort ?
Bon c'est pas gai néanmoins il faut entendre comment cet ultime chef d’œuvre est mis en musique par un compositeur de 80ans, c'est d'une mélancolie sereine teintée d'une petite touche d'optimisme qui donne toute sa saveur à notre funeste condition.... Un des plus beaux Lieder jamais écrit !